« Je pense aussi
que vous pouvez me reprocher d’avoir fait la part trop grande aux choses matérielles
(…). Ce sont des faits terribles, mais regardons-les en face. Il est certain,
bien que ce soit déshonorant pour nous comme nation, que par suite de quelques
défauts dans notre communauté, le poète pauvre n’a pas de nos jours, et n’a pas
eu depuis deux cents ans, la moindre chance de réussite... Un enfant pauvre en
Angleterre n’a guère plus d’espoir que n’en avait le fils d’un esclave à Athènes
de parvenir à une émancipation qui lui permette de connaître cette liberté
intellectuelle qui est à l’origine des grandes œuvres. C’est cela même. La
liberté intellectuelle dépend des choses matérielles. La poésie dépend de la
liberté intellectuelle ».
Une chambre à soi, Virginia Woolf.
Nous ne voulons pas être sauvés
Alors que le Medef déclare que les patrons ne sont
en rien redevables des 30 milliards que le gouvernement leur a donné, le
ministre de l’emploi ne se prononce pas sur les mesures justes et adaptées aux
intermittents proposées par un grand nombre des principales personnes concernées [1],
sous prétexte de ne pas brusquer des « partenaires sociaux » supposés
en décider seuls.
Pourtant, le Medef préconise que l’Etat compense
la perte de droits résultant de la suppression des annexes 8 et 10 de l’Unedic. L’objectif
de l’organisation patronale est clair : tous précaires et sans droits
sociaux. Et cela au nom de l’équité ! Ce que l’on risque c’est,
comme souvent par le passé, qu’au nom du « déficit », on
prétende « sauver le régime » en enfonçant/déglinguant
ceux qui en dépendent.
Selon nous, toute personne a droit à des conditions
d’existence dignes. Or, aujourd’hui, si l’on excepte les nantis, seuls ceux qui
bénéficient d’emplois stables et durables avec des salaires corrects et de
bonnes conditions de travail, sont dans ce cas…
L’objectif du Medef est d’instaurer une flexibilité
généralisée en rognant et cassant les droits de ceux qui alternent chômage et
emplois afin de disposer d’une main d’œuvre corvéable à merci. Le Medef s’emploie
tout bonnement depuis 20 ans à supprimer les annexes 8 et 10 car, par delà tous
les arguments comptables, il s’agit pour eux d’en finir avec l’idée même qu’une
protection sociale un tant soit peu adaptée aux caractéristiques de l’emploi
soit possible.
Les néolibéraux ont un projet de société bien défini [2]
qui leur permet de penser les choses sur la durée et de manière stratégique : séparer
les artistes et techniciens en 2003 n’avait d’autre objectif que de préparer la
sortie des techniciens du régime de l’intermittence.Après les attaques répétées
de la cour des comptes, la mise en place de l’ANI (Accord sur la compétitivité
et la sécurisation de l’emploi), la CGPME (un des trois syndicats d’employeurs
représentés aux négociations) a fait le premier cette proposition. Le Medef la
radicalise en réclamant purement et simplement la suppression les annexes 8 et
10. Comme de coutume, ce train risque d’en cacher un autre. Les soit disant « négociations »
en cours montreront bientôt à quoi une telle provocation est destiné à préparer
la voie… Au vu de la politique d’austérité actuelle, il se pourrait bien que l’on
cherche à rogner les droits de l’ensemble des « chômeurs en activité à
temps réduit », de plus en plus nombreux, et pas des seuls intermittents
du spectacle.
De deux choses l’une, soit nous sommes gouvernés
par des aveugles, soit les socialistes sont totalement hypnotisés par l’idéologie
néolibérale et sa société de concurrence. Nous osons encore espérer qu’il n’en
soit pas ainsi. Et si tel était néanmoins le cas, nous n’aurions d’autre choix
que de tout faire pour l’empêcher.
Les salariés à l’emploi discontinu ne doivent pas
subir les effets d’une crise dont ils ne sont pas responsables mais bénéficier
d’un régime d’assurance chômage correct afin de pouvoir vivre, travailler, se
projeter dans l’avenir.
Le Medef a ouvert le bal. Oui les contrats courts
et la discontinuité ne sont pas limités aux intermittents du spectacle, 80% des
embauches actuelles s’effectuent en CDD, l’intermittence estaussi le
quotidien des chômeurs et précaires.
Avec les réformes actuelles sur la flexibilité et l’assurance
chômage le gouvernement est confronté à un choix historique : laisser les
stratégies néolibérales se déployer à grands renforts des préconisations
caricaturales de l’OCDE (selon eux « la France doit inciter les seniors à
travailler » ), ou bien opter pour une autre société que celle de « la
guerre de tous contre tous », une solidarité permettant à la fois de vivre
au présent et de penser le futur. Après des décennies de précarisation, il est
tout simplement indispensable d’obtenir un système juste et mutualiste pour les
intermittents du spectacle et de refonder les droits sociaux de tous les chômeurs
et autres salariés à l’emploi discontinu.
Le rapport de force semble défavorable à la
solidarité. Mais des printemps arabes et québécois au soulèvement ukrainien, on
vérifie que jamais un ordre social inique ne pourra être assuré d’éviter sa
mise en cause, voire son effondrement.
25 février 2014
Coordination des Intermittents et Précaires (idf)
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